Ménan jfais rien de mal ! ||Nuage de Magie

J'étais trop excitée pour avoir dormi ne serait-ce que quelques heures. Les montées d'adrénalines me submergeaient par vagues de chaleur, m'empêchant ainsi de sombrer dans un sommeil convenable. Le temps qui me séparait de mon baptême d'apprentie se restreignait de plus en plus, et, au vu de mon caractère, j'avais vraiment hâte qu'il se déroule. Qui serait mon mentor ? Serait-il assez expérimenté ? Et, par ailleurs, je pourrais peut-être m'entraîner avec Nuage de Magie... ce serait génial ! A m'emballer toutefois, je risquais de réveiller les autres résidents de la pouponnière, et j'aurais leurs parents sur le dos.
Je pointais la truffe discrètement à l'extérieur, désireuse de m'aventurer hors du nid douillet dans lequel braillait les chaton les plus jeunes toute la journée. Le soleil s'était à peine levé, une bande d'incarnat chassait les derniers lambeaux sombres de la nuit achevée. Un vent froid agita mes moustaches, m'apportant un peu de fraîcheur en cette chaleur naissante.

Je mis alors une patte dehors, aux aguets. J'ignorais quand les apprentis débutaient leur entraînement, mais à mon avis, l'heure approchait à grands pas. Apparemment, la grande majorité du Clan dormait à poings fermés. Je rampai au sol sans faire de bruit, jusqu'à la tanière des apprentis, et une de mes oreilles se dressa. Il y avait du mouvement. Je fis demi-tour, prudente, et contournai la pouponnière. Je voulais savoir ce qui se trouvait au-delà des limites de notre camp, de quoi les guerriers pouvaient bien nous protéger, et surtout, si la menace était si grande que cela. Après tout, c'était peut-être des mensonges destinés à nous faire peur et, ainsi, nous décourager. Sauf que la curiosité était la plus forte, et que nous n'y pouvions pas grand-chose. Le matin se révélant le seul moment de la journée où je puisse m'éclipser - hormis la nuit, mais on n'y voyait vraiment rien -, je devais saisir à tout prix cette occasion. Je m'enfonçai alors dans les bois, la queue haute, le cœur battant. Je faisais peut-être une bêtise phénoménale, mais peu m'importait, parce que qui ne tente rien n'a rien. J'adhérais totalement à ce dicton.

Les bruits me parurent si étrangers qu'ils me fascinèrent littéralement. Les odeurs musquées contrastaient avec celles qu'exhalaient les chênes. Le vent chantait une douce mélodie à travers leurs feuilles, de concert avec le rythme que fredonnaient les oiseaux. Les nuances de verts étaient si nombreuses que 90% d'entre elles ne pouvait avoir de nom ; effets du soleil et des ombres, principalement, qui modifiaient instantanément la différence. Il n'y avait pas que ça. La terre sous mes pattes n'était pas aussi bien tassée que dans la pouponnière ; les herbes avaient pris possession du terrain, se développant avec allégresse.

Soudain, trop prise dans ma contemplation, je ne me rendis pas compte que quelqu'un m'avait suivie. Je fis volte-face, la fourrure hérissée. Comment avais-pu être aussi idiote ?

Nuage de Magie ! Mais bien sûr ! Je réprimai un mouvement de queue frustré. J'étais furieuse contre moi-même, je n'avais pas été assez discrète. J'avais été prise en faute... ma si chère amie me lancerait-elle une réplique acerbe et sans appel ? Non, ce n'était pas son genre. Théorie qui se confirma lorsqu'elle lança :

« Calme toi voyons, ce n'est que moi. »

Ouf. Elle ne semblait pas m'en vouloir. Son air décontracté me soulagea quelque peu, je souris, naïve comme j'étais. Puis soudain son expression se rembrunit et elle reprit d'un ton plus grave :

« Qu'est-ce que tu fais hors du camp ? Tu ne saisis pas le nombre de dangers qu'il y a pour un chaton, ici ? Dépêche-toi, on rentre, avant que quelque chose ne t'arrive ou que quelqu'un remarque ton absence. Sinon ton baptême sera décalé. »

Je l’observai sans comprendre. Pourquoi décaler mon baptême ? J’étais la protégée du chef. Il ne pourrait pas faire ça ! Je ne faisais qu’une excursion de rien du tout, je restais sur notre territoire, alors j’étais en sécurité, non ? Plutôt ça que de rester confinée dans la pouponnière ! Les bruits m’étaient insupportables. Pourquoi l’apprentie ne comprenait pas ? Je n’allais pas me faire manger par un moineau, quand même ! Et puis, j’avais appris quelques parades… mais bon, c’était au cas où, et au moins, j’avais des bases que les autres chatons n’avaient pas. Mon mentor serait fier de moi, et je deviendrais une grande guerrière, peut-être même une meneuse ? Un idéal un peu loin et décalé… mais bon. Étoile des Esprits, lui, avait réussi. Et c’était un chef qui avait la classe. Avant tout, ce devait être lui qui se féliciterait de m’avoir parmi les siens.

« Qu’est-ce qui pourrait m’arriver ? Je ne vais pas me faire manger par une souris, tu sais ! Et je ne comptais pas quitter le territoire. » répliquai-je d’une voix où perçait tout mon entêtement habituel. Puis je la fixai d’un air de défi, et lançai : « Et toi, tu as peur des moineaux ? »

C’était pour jouer, bien sûr. Nuage de Magie était une amie formidable, et bientôt, je dormirais avec elle. Elle se fichait bien de mes origines, apparemment floues. Alors, pour l’embêter, je fis quelques pas de plus qui m’éloignaient du camp. J’espérais qu’elle ne se fâcherait pas. Je n’aimais pas la voir en colère. Et ce n’était pas mon but, en plus.